L’inclusion passe par le jeu adapté et l’accès aux loisirs. Lorsqu’un enfant est confronté à la maladie ou à un handicap, son quotidien change profondément. Soins médicaux, hospitalisations fréquentes, fatigue physique et mentale, isolement… Dans ce contexte, l’accès aux loisirs – pourtant essentiel au développement de l’enfant – devient un véritable parcours du combattant. Alors que ces moments d’évasion, de création et de partage sont fondamentaux pour se construire, trop d’enfants restent encore à l’écart des activités collectives, sportives ou culturelles.
Pourquoi ce droit à l’enfance, au jeu et à la découverte reste-t-il si difficile à garantir au quotidien ? Comment adapter ces temps de loisirs pour qu’ils deviennent vraiment inclusifs et bénéfiques pour les enfants malades ?
Pour répondre à ces questions, nous avons interviewé Bénédicte Jobert, directrice des programmes de L’ENVOL, qui partage son regard sur ces enjeux cruciaux et revient sur l’importance d’offrir à chaque enfant, quel que soit son âge et sa pathologie, un réel accès à des moments de joie et de liberté.
Question 1 – L’accès aux loisirs est souvent un défi pour les enfants malades ou en situation de handicap. Quelles sont, selon vous, les principaux freins qu’ils rencontrent au quotidien et qui les empêchent de profiter pleinement, comme n’importe quel enfant ?
Bénédicte Jobert – Il y a un véritable constat partagé à la fois par les enfants et les parents d’une exclusion récurrente des enfants malades ou en situation de handicap, aussi bien dans les structures de loisirs que dans les activités sportives ou culturelles. Cette exclusion n’est bien souvent pas volontaire, mais résulte d’un manque d’adaptation des environnements classiques aux besoins spécifiques de ces jeunes.
Le sport, par exemple, est souvent considéré comme inaccessible pour un enfant malade ou porteur d’un handicap, alors même que des pratiques physiques adaptées sont non seulement possibles, mais bénéfiques, à condition que celles-ci soient pensées et aménagées en fonction de leurs besoins.
Certains parents pensent d’emblée qu’il est impossible pour leur enfant de participer à des sorties, en raison de sa maladie ou des contraintes logistiques que cela implique. Ils s’imaginent que ce sera trop compliqué, que l’organisation sera lourde, que l’environnement ne sera pas accessible. Pourtant, tout cela est envisageable.
Le véritable frein, c’est souvent l’inadaptation des structures existantes, qu’il s’agisse d’accessibilité pour les enfants en fauteuil roulant, ou d’un accompagnement spécifique pour ceux qui rencontrent des difficultés cognitives.
De plus, la méconnaissance des pathologies ou des troubles cognitifs spécifiques conduit bien souvent à des situations d’incompréhension, voire d’exclusion. Prenons le cas d’Amir : son comportement peut, de l’extérieur, être perçu comme de la désobéissance ou un manque de discipline. Pourtant, ce que certains considèrent comme un refus de suivre les consignes est en réalité directement lié à sa pathologie, qui limite sa capacité à assimiler certaines règles.
Faute de formation ou de sensibilisation, certains professionnels interprètent ces attitudes à tort. Il arrive que des enfants comme Amir soient marginalisés, mis à l’écart, voire stigmatisés, y compris par les adultes censés les accompagner. Ce manque de reconnaissance du handicap invisible ou cognitif a des conséquences lourdes. Les familles, confrontées à ces jugements injustes ou à des environnements inadaptés, finissent par renoncer à ce qui ne leur semble pas « essentiel » : les loisirs, les activités culturelles, les temps de répit. Elles concentrent leurs efforts sur ce qui est obligatoire, comme l’école ou les soins, et mettent de côté ce qui pourrait pourtant contribuer au développement, à l’inclusion sociale et à l’épanouissement de leur enfant.
”Les loisirs ne sont pas un luxe pour les enfants malades : ils sont un levier fondamental pour leur épanouissement, leur autonomie et leur inclusion dans la société.
C’est précisément là que réside la force de L’ENVOL : notre association adapte ses programmes à tous types de handicaps. Cela peut représenter un défi, bien sûr, car chaque situation est différente, mais c’est ce qui rend leur accompagnement si précieux. Grâce à notre expertise pluridisciplinaire et notre approche centrée sur la thérapie récréative, nous concevons chaque activité — qu’elle soit sportive, créative ou récréative — en fonction des capacités et des besoins de chaque enfant. Cela nécessite un véritable travail d’adaptation, de pédagogie, de reformulation, mais c’est ce qui permet une participation pleine et entière de l’ensemble de nos bénéficiaires.
L’ENVOL se donne pour mission de lever ces barrières. Notre équipe prend le temps d’expliquer, d’adapter, d’écouter et de reformuler afin de permettre à chaque enfant, quel que soit son profil, de s’épanouir dans un cadre sécurisé, stimulant et surtout inclusif. Notre objectif n’est pas simplement de proposer des activités, mais de garantir l’accès à une expérience collective enrichissante et équitable pour tous les enfants, sans distinction.
En créant des espaces adaptés et bienveillants, nous permettons aux enfants de retrouver une place active dans des activités pensées pour eux, et aux familles de renouer avec des moments de plaisir, sans inquiétude constante.
Question 2 – Quels sont les besoins spécifiques à prendre en compte pour que ces jeunes puissent accéder à des temps de loisirs dans de bonnes conditions ?
Ce qui fait la force de notre association, au-delà du cadre des séjours médicalisés eux-mêmes, c’est la connaissance fine que nous développons des jeunes que nous accompagnons, et de leurs besoins spécifiques. Contrairement à un environnement « ordinaire », notre approche repose sur une préparation en amont extrêmement rigoureuse : lecture attentive des dossiers médicaux, échanges approfondis avec les familles, les professionnels de santé et les équipes éducatives, afin de comprendre comment l’enfant réagit dans différentes situations, quelles sont ses forces, ses freins, ses besoins particuliers.
”L’inclusion ne se joue pas uniquement dans le fait de "faire participer" : elle repose sur l’intention d’offrir un cadre équitable à chacun.
Ces divers échanges nous permettent d’anticiper les adaptations nécessaires et d’en discuter en équipe. Cela se traduit ensuite concrètement dans la formation des bénévoles, à qui nous expliquons les ajustements à prévoir pour une activité selon les enfants : comment l’adapter à un enfant en fauteuil, à un enfant qui a besoin de plus de temps de compréhension, ou à un enfant ayant des troubles sensoriels.
Par exemple, pour qu’un enfant en fauteuil ne soit pas seul à sa hauteur, nous proposons parfois que tous les enfants s’assoient, afin que chacun soit au même niveau – une attention simple mais symboliquement forte. Ce sont ces détails pensés et partagés qui font que l’enfant se sent pleinement intégré.
Nous observons aussi que le comportement d’un enfant peut changer de manière très significative selon l’environnement dans lequel il évolue. Il arrive que des enfants, considérés comme en grande difficulté dans un cadre scolaire ou spécialisé, montrent des capacités inattendues lors de nos séjours. Pourquoi ? Parce qu’ici, on leur laisse le temps, on leur offre un cadre souple, un accompagnement individualisé et bienveillant.
Les bénévoles ne mettent pas de pression : s’il faut plus de temps pour comprendre ou s’engager dans une activité, c’est possible. Et l’ensemble du groupe est sensibilisé à cela, pour encourager des interactions positives et respectueuses.
Ce retour d’expérience est parfois précieux pour les structures éducatives ou médicales. Il met en lumière les progrès de l’enfant dans un cadre plus ordinaire, et valorise les efforts faits depuis des années par les professionnels et les familles. Il prouve que l’environnement joue un rôle décisif dans l’épanouissement de l’enfant.
Question 3 – Au-delà du plaisir de faire des activités culturelles, créatives ou sportives ou même de partir en vacances, quels impacts concrets peut avoir cet accès aux loisirs sur la santé mentale et leur bien-être des jeunes au quotidien ?
Notre mission ne se limite pas à organiser des séjours adaptés : nous offrons aux enfants malades la possibilité d’expérimenter la fierté de faire « comme tout le monde ». C’est essentiel pour leur estime de soi. Les loisirs comme le sport adapté, les activités créatives ou les sorties culturelles sont de formidables vecteurs d’inclusion, de découverte et de confiance en soi. Ces activités font appel à d’autres moyens d’expression et de dépassement de soi, et laissent la possibilité à chaque jeune de jouer, de s’évader, de s’écouter, d’essayer et de participer selon ses propres capacités.
Prenons l’exemple d’Ali, un jeune accueilli d’abord lors d’un séjour de répit dédié aux familles. Pour ses parents, il était important qu’il puisse partir ensuite seul en séjour, à l’image de ses frères plus jeunes qui allaient bientôt vivre leurs premières colonies de vacances. Laisser Ali partir sans ses parents, comme n’importe quel enfant, représentait un moment fort dans son parcours d’autonomisation. C’est ce que nous permettons à L’ENVOL : partir en vacances sans être uniquement “accompagné”, mais pleinement acteur de son expérience
”Et parfois, pour la première fois, l’enfant n’est pas le dernier. Parfois même, il est le premier. Et cela change tout dans le regard qu’il porte sur lui-même.
Cette logique se retrouve dans l’ensemble des activités de loisirs que nous proposons. Un enfant nous disait récemment qu’il n’avait jamais eu le droit de faire de l’escalade « parce qu’il est malade ». D’autres, tout simplement, ne courent pas à l’école, n’ont pas accès au sport en milieu ordinaire. Chez nous, les activités sont pensées pour être inclusives, accessibles, et surtout sans pression de performance. Il n’y a ni compétition, ni classement, ni moquerie : chacun va à son rythme.
Cette dynamique a des effets tangibles sur leur santé mentale. Le simple fait de se sentir capable, de réussir une activité physique ou collective, de s’amuser sans jugement, nourrit la confiance en soi. C’est un pilier essentiel de l’équilibre psychologique.
Les retours que nous collectons à travers nos questionnaires d’impact sont clairs : après un séjour, de nombreux enfants déclarent qu’ils se sentent désormais capables de reproduire certaines activités en dehors du cadre du séjour. Le fait de l’avoir vécu ici, dans un cadre sécurisant et bienveillant, leur donne la force de repousser les limites qu’ils croyaient définitives.
L’inclusion, ce n’est pas seulement permettre l’accès. C’est offrir les conditions pour que chacun puisse oser, réussir, et croire en ses capacités.
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